Fermeture du Saint Sauveur : antifascisme et délinquance
Le bar antifa emblématique de Paris tire sa révérence, affaibli par la mort de son fondateur et les pressions des riverains et de la préfecture. Retour sur ce local d'une mouvance violente et groupusculaire, épicentre de la petite délinquance gauchiste, entre drogue, violences et escroqueries.
On ne présente plus le Saint Sauveur, le repaire de l'extrême gauche antifa parisienne et le quartier général de l'Action antifasciste Paris-Banlieue durant presque vingt ans, de 2006 à sa fermeture le 4 janvier 2025. Bar mi-bobo, mi-punk, mi-hooligan emblématique de l'Est Parisien, il est tout aussi célèbre que son fondateur, Julien Terzics, le chef historique des redskins français et le réalisateur du documentaire auto-hagiographique Antifa : Chasseurs de Skins. La mort de celui-ci en juillet 2024 est le clou final sur le cercueil d'un bar qui commençait à crouler sous les fermetures administratives et procédures judiciaires. En effet, en accord avec les dernières volontés de Terzics, le Saint Sauveur sera vendu pour couvrir les droits de succession de ses héritiers. Local le plus visible et connu de l'extrême gauche parisienne, le Saint Sauveur incarnait également un pont entre les bandes violentes armées, le milieu libertaire classique et surtout la gauche institutionnelle. Preuve en est la présence de Mélenchon à la soirée de clôture du bar, flanqué de son garde du corps Hazem El Moukkadem, le patron des antifas marseillais. Cependant, malgré les couvertures élogieuses accordées par les diverses presses de gauche à ce bar, présenté comme un lieu de contre-culture musicale vivante et babacool, l'établissement trainait derrière lui les lourds boulets que sont les groupuscules antifas, au quotidien mâtiné de comportements délictuels et antisociaux.
En 2002, la rue des Panoyaux était déjà un lieu de rassemblement régulier pour la bande de redskins affiliés à la CNT de Julien Terzics, la Brigada (du nom du groupe de musique de celui-ci, la Brigada Flores Magnon). Ceux-ci se réunissaient alors au bar le Montagnard, au croisement avec le boulevard de Ménilmontant. Le 13 juillet 2002, les redskins rassemblés au Montagnard attaquaient les forces de l'ordre et se retrouvaient notamment embarqués Pierre Bitoun, connu plus tard pour avoir agressé une procession catholique en 2021... mais également Florian Dahuron, qui partira comme paramilitaire dans des milices communistes au Kurdistan en 2015 et finira condamné à 5 ans de prison pour association de malfaiteur terroriste après son retour en France ! Deux profils dont on peut noter la marginalité, Pierre Bitoun alignant une liste impressionnante de condamnations pour des petits délits, comme par exemple... de l'escroquerie aux tickets Disneyland sur des touristes étrangers ! Quant à Florian Dahuron, surnommé Libre Flot, l'affaire de terrorisme révélera un individu déstructuré, sans domicile fixe, dont le militantisme le mènera à s'armer et à fantasmer sur des assassinats de policier.
Loin de n'être qu'un simple lieu de vie, le bar reste un véritable QG militant où se croisent et s'organisent les différentes générations d'antifas. L'AFA s'en servira notamment comme base arrière pour l'attaque du local de Génération identitaire en 2018, les antifas se réunissant dans ses locaux pour débriefer. Une affaire où se retrouveront David Patrice, militant de l'AFA qui fondera plus tard « JAM l'appli solidaire », en vérité un label d'organisation de soirées électro, Pierre Bitoun... et également le chef de l'AFA du moment, Bastien Berne, qui était employé comme serveur au bar !
Témoignage des relations mouvementées avec les autorités et les riverains, David Patrice aura notamment été arrêté à deux reprises pour des faits liés à de la drogue dure dans la rue des Panoyaux. Des scènes assez courantes qui mèneront à plusieurs fermetures administratives à partir de 2020 (en janvier et en août de cette année), face au ras-le-bol du voisinage et de la préfecture. Mais également provoquées par les nombreux départs en manifestation. En ancrant l'extrême gauche antifa dans le quartier, le Saint Sauveur y importe en effet la culture des hooligans et des squats, marquée par la violence, les drogues et la petite délinquance.
Les antifas, fascinés par la culture underground du crime banlieusard (le Banlieue accolé à AFA Paris n'étant pas anodin) jouent eux-même de cette image qu'ils n'hésitent pas à exagérer une fois quelques verres et rails descendus : ainsi dans le compte-rendu de Streetpress, l'un d'eux se fera mousser en parlant de règlement de compte avec des armes à feu impliquant les criminels du quartier voisin de la Banane. On notera au milieu de ces provocations et postures l'ironie du logo historique du bar, un poing américain... L'arme qui ôta justement la vie à l'antifa Clément Méric lors d'une rixe en 2013.
Julien Terzics, le patron emblématique et pionnier du mouvement antifa en France, chef naturel des redskins prend cependant ses distances à l'horizon 2017, lorsqu'il se lance dans l'aventure biker, à Avignon, en ouvrant un chapitre de motards, le Black Block, qui se retrouvera rapidement affilé au MC international des Bandidos. L'image de révolutionnaire en pâtit quelque peu, les activités de Terzics tenant plus de la petite criminalité de campagne entre l'escroquerie et les armes à feu... Et également la drogue dure, Terzics étant réputé pour jouer les intermédiaires et les dealers entre le milieu des bikers et le squat gauchiste L'Usine à Genève !
Les différents gérants et serveurs du Saint Sauveur se recrutent presque exclusivement dans la mouvance antifa activiste et violente. Outre Terzics et son associé Andreas Zund, antifa suisse, on retrouve pêlemêle dans ses serveurs et genres : Bastien Berne ; Zelda Barbé, la compagne de Léo Kekemenis, le photographe de l'AFA ; Valério Starita dit Geko, militant historique de la Jeune Garde redskin et de l'AFA, intervenant régulier auprès de la mouvance décoloniale. Un signe que, bien loin de n'être qu'un lieu de vie pour la jeunesse bobo branchouille adepte de musiques alternatives, il s'agit de faire avant tout vivre un business militant et fournir du travail aux membres de l'organisation.
Enfin, dans l'un des derniers articles couvrant la fermeture du bar, on retrouve sous le pseudo Marto une figure bien connue du milieu hooligan d'extrême gauche. Julien Marteau c'est « Panagoal », ancien leader du groupe ultra du Virage Auteuil les Tigris Mystics, très impliqué dans les conflits intestins au PSG durant les années 2000. On verra Panagoal apparaître à plusieurs reprises aux côtés des antifas, par exemple durant la manifestation d'hommage à Clément Méric de 2014, ou encore en train d'invectiver la police lors du meeting de Marine Le Pen du 17 avril 2017, et enfin... déguisé en policier aux cotés du leader de l'AFA Micha Sztarlyd dans le clip publicitaire MFC de DJ Pones, destiné à promouvoir le club de foot antifa éponyme. D'après un ancien membre du Mouvement Inter-Luttes Indépendant, le leader Tigris aurait également été présent lors des heurts qui opposèrent les antifas... à Jean-Luc Mélenchon, lors de l'attaque de son meeting en septembre 2017 ! Les anciens d'Auteuil auraient mené la charge au cri de « Paris Paris Hooligan ! » Plus tard, vaguement rangé, il continuera tout de même de côtoyer le milieu jeune antifa en étant présent aux ventes Pop Up Stone organisées par Constantin Costa Coulentianos et Angel Bernanos.
La fermeture du Saint Sauveur, coup dur pour la mouvance antifa et son enracinement dans l'Est parisien, est cependant très loin d'en sonner le glas : il reste notamment à Andreas Zund l'affaire juteuse du TDTF, bar à bobo bien situé dans les quartiers plus chics du 19e arrondissement, où déjà le MFC 1871 s'est retrouvé à organiser publiquement des événements... Pour une génération militante, la fin du bar de la rue des Panoyaux signe la fin d'une époque, mais elle ne fait qu'entamer modérément l'implantation bien réelle des groupes antifas dans l'Est parisien et ces derniers trouveront sans nul doute bien assez vite de nouveaux points d'ancrage.