Olympique Lyonnais : Six Neuf Pirates, récit d'une manipulation
Depuis dimanche, un récit médiatique s'est imposé en maître : d'un côté, il y aurait les méchants ultras de l'Olympique Lyonnais (OL) d'extrême droite, de l'autre, les gentils supporters tolérants des « Six Neuf Pirates » (SNP). La réalité, comme souvent, est bien différente.
AU COMMENCEMENT ÉTAIT LA BAGARRE ENTRE LES SNP ET LES ULTRAS HISTORIQUES LYONNAIS
Un nouveau groupe d’ultras a récemment fait surface à Lyon pour s’immiscer dans les travées du Groupama Stadium. Intitulé « Six Neuf Pirates » (SNP), ce regroupement d’une petite cinquantaine de personnes est parvenu à accumuler les polémiques et les méfaits en quelques petits mois seulement. Un comportement méconnu du grand public (qui ne connaissait d'ailleurs pas ce groupe jusqu’à sa médiatisation) et qui n'est pas du goût des groupes historiques de l'OL, dont certains remplissent les tribunes depuis des années et des années avec ferveur et fidélité. L’Observatoire propose de revenir sur une histoire qui n’a pas débuté dimanche à 18h.
À l’issue du match Lyon – Nantes du dimanche 6 octobre, une rixe a opposé les membres de ce nouveau groupe à des supporters lyonnais au niveau de la porte X, laquelle donne accès au bloc 439 où siègent les membres du SNP. Vraisemblablement, des protagonistes des deux camps étaient armés ou cagoulés. Dans la foulée, articles et condamnations ont coulé à flot pour vilipender les Bad Gones et pour soutenir les SNP, qui auraient prétendument subi une violente agression sans aucune justification.
De nombreux médias et personnalités politiques de gauche et d'extrême gauche ont analysé cette bagarre sans comprendre la situation et sans chercher à la comprendre. Ainsi, en dehors tout contexte, ils ont fustigé les ultras historiques de l'OL, qui seraient les uniques responsables de l'affrontement selon leurs dires. Dès dimanche soir, les députés Nouveau Front Populaire du Rhône ont publié un communiqué afin de réclamer des mesures « contre les violences de ces groupes [Bad Gones, Lyon 1950] et de leurs membres ». Le secrétaire du PCF à Lyon, Augustin Pesche, qui est également président de l’Office des sports de Lyon, a choisi son camp en exprimant, sur X, « Tout [s]on soutien aux supporters et supportrices de @sixneufpirates ». Enfin, la GALE, groupe antifasciste lyonnais toujours actif, du moins sur les réseaux sociaux, en dépit de la confirmation de sa dissolution par le Conseil d'État en novembre 2023, a également apporté son soutien au SNP en condamnant les autres groupes ultras de l'OL, accusés de racisme.
Pour en revenir à la bagarre qui a déclenché ce tollé médiatique, la personne qui aurait reçu un coup de couteau ne s'est pas faite connaître. Certains affirment qu'il s'agit d'un membre du SNP, d'autres spéculent qu'il pourrait s'agir d'un ultra du camp opposé. Néanmoins, ce qui est certain, c'est que le seul individu interpellé à l’issue de la bagarre est un homme de 21 ans qui tentait de se débarrasser de son cutter et qui se revendique comme membre des SNP.
DES DÉBORDEMENTS À REPLACER DANS LEUR CONTEXTE
La version explicative des échauffourées relayée par la grande majorité des médias, comme cet article de L’Équipe par exemple, par des élus d'extrême gauche et par le groupe SNP lui-même, est totalement en faveur de ces derniers. Ses membres ne seraient que des supporters apolitiques harcelés par des ultras d'extrême droite. Une prise de recul est nécessaire pour rétablir les faits.
Si les Six Neuf Pirates se sont constitués au mois de février 2024, il existe déjà un passif entre eux et les autres groupes ultras. Or, cette animosité, qui n’a pas mis de temps à germer, a été constituée de toutes pièces par les membres du SNP.
Tout d’abord, lors de la finale de la Coupe de France en mai dernier, alors qu’une dizaine de membres des Bad Gones a été blessée et que l’un de leur bus a été incendié par des ultras parisiens (Collectif Ultras Paris) qui leur ont tendu un guet-apens sur l’autoroute en direction de Lille, le groupe Six Neuf Pirates ne leur a apporté aucun soutien et a préféré communiquer sur l’agression subie par deux femmes au Groupama Stadium lors de la retransmission de la finale. Dans ce communiqué, le néo-groupe appelait à « aider le club dans toutes les démarches et les volontés de changement de mentalité », arguant que « l’heure du renouveau a sonné ».
Ensuite, de nombreux ultras ont constaté ces derniers temps que les autocollants des Bad Gones ou des Lyon 1950 étaient recouverts par des autocollants des SNP, ce qui démontre une aversion indéniable. De même, L’Équipe rapporte qu'avant la rixe de dimanche dernier, des membres du SNP provoquaient ouvertement les autres mouvements ultras sur les réseaux sociaux, notamment pour appeler à « chasser les fachos du stade ». Plus encore, un panneau situé aux abords du Groupama Stadium, sur lequel un tag « VSL » avait été réalisé par le Virage Sud Lyon, a été littéralement souillé par d’innombrables inscriptions « SNP ».
Quelques jours après la rixe, le mercredi 9 octobre, un nouveau tag du Virage Sud Lyon a été dégradé par le même mode opératoire, avec des inscriptions « antifa ». Si le saccage n’est cette fois-ci pas signé, la temporalité de l’acte peut grandement laisser penser qu’il s’agit de représailles des SNP.
Enfin, l’élément déterminant se trouve dans le communiqué des Bad Gones, qui expliquent qu’au-delà de toutes les petites exactions menées par les SNP à l’encontre de leur image, un cap a été franchi avant le match dimanche dernier : « Que des membres de groupes se soient fait insulter et même suivre par plusieurs personnes masquées avant le match de Nantes est un fait. »
Il convient de préciser qu'une persistance de nos jours du passif politisé des virages lyonnais ne repose pas sur de réels éléments tangibles. Officiellement et à l'insistance du club, Bad Gones et Lyon 1950 sont des groupes apolitiques et ils ne cessent de le réaffirmer, comme l’ont fait les premiers dans leur communiqué du 8 octobre : « Notre seul engagement politique se résume à l’Olympique Lyonnais [...] Nous sommes et serons intransigeants sur toutes les formes de politique au sein de notre tribune et de notre groupe ». Les Bad Gones ne font pas de politique mais ne cachent pas leur patriotisme, exhibé par des drapeaux français ou des Marseillaise entonnées. L'autorisation des groupes d'ultra à se réunir en virage est tributaire de leur apolitisation, renvoyant les profils les plus problématiques dans la nébuleuse de groupes « indeps » d'interdits de stade.
Il apparaît donc que, loin d’une razzia d’extrême droite il s'agirait avant tout d'un règlement de compte entre ultras rivaux, sur fond de contrôle du territoire. Réglement de compte dans lequel, les prétendus agressés seraient eux même venus cagoulés, armés et avec l'intention d'en découdre. Toutefois, cela n’exclut pas le fait que l’identité des Six Neuf Pirates a beaucoup à voir avec l’antifascisme.
QUI SONT RÉELLEMENT LES SIX-NEUF PIRATES ?
Dans leur communiqué publié après la bagarre, les SNP se définissent comme étant un groupe « totalement apolitique, cosmopolite, ouvert à toutes et à tous, non violent ». Si ce n'est pour le cosmopolitisme, ces affirmations s'avèrent mensongères.
Avant la bagarre de dimanche, de nombreux médias ont présenté les SNP comme étant un groupe « antifa ». C’est le cas de L’Équipe : « Ces derniers s'affichent comme « antifa », et la volonté de créer leur groupe est née à la suite d'une recrudescence de comportements racistes observée par différents témoins dans les virages lyonnais ou en parcage lors des déplacements. », du média But Football Club ou encore de Daily Mercato. Le média choisi par un de leur membre pour réagir à l’affrontement et pour qu’il déclare « On s’est fait tabasser. Je pense que je m’en suis bien tiré parce que je suis blanc » est... StreetPress, un média à la ligne ouvertement antifa, qui emploie également des militantes de la mouvance comme journaliste, telle que Daphné Deschamps ! Les articles qui décrivent le groupe comme antifa, les relais dans des médias d’extrême gauche, le soutien de députés du Nouveau Front Populaire, cela commence donc à peser lourd et à clairement inquer un positionnement à l’extrême gauche.
Et comment ne pas évoquer à nouveau le tag du Virage Sud Lyon souillé par les SNP, sur lequel il est possible de lire « SNP » mais aussi... « antifa ».
Sur les photos publiés par le groupe, certains membres reprennent des signes antifascistes, comme celui-ci, censé représenter les trois flèches, symbole de la Jeune Garde, hérité des milices de gauche allemande durant les années 30.
Dans un entretien pour France 3, Pierre (prénom d’emprunt), membre du bureau SNP, déclare que « La création d'un nouveau groupe n'est pas la bienvenue, on pourrait attirer des supporters qui ne veulent plus être associés à des groupes qui, même s'ils se disent apolitiques, ont encore un noyau dur de personnes d'extrême droite ». En tout cas, même s’ils se disent apolitiques, les SNP ont clairement un noyau dur de personnes d’extrême gauche.
Peut-on être apolitique lorsque l’on se revendique « cosmopolite » et que l’on écrit en écriture inclusive, c’est-à-dire lorsque l’on se lie à deux totems de l’extrême gauche ? Si le groupe SNP s’affiche désormais comme apolitique, c’est simplement parce que le club, qui l’a soumis à une période probatoire d’un an, l’a obligé à abandonner son étiquette. Sinon, aux origines, il y avait bel et bien une revendication antifa : la dénomination des médias ne provient pas de nulle part.
Pour finir, « Nous ne tolérons aucune forme de violence ni de comportement dangereux » jurent les SNP dans un communiqué du 8 octobre. Or, un de leur membre a été arrêté avec un cutter, un autre a vu sa clé plate lui être confisquée (ne disposant pas de cartes d'adhésion officielles, l'individu peut nier être membre des SNP même s'il se touve dans leur tribune) et durant la bagarre, un troisième a fait usage d’une gazeuse. Pour couronner le tout, selon certains témoins, ils étaient équipés de cagoules.
En définitive, bien loin du récit médiatique relayé unanimement, les Six Neuf Pirates apparaissent comme ceux qui politisent les tribunes lyonnaises en affirmant ouvertement une revendication, qu'ils n'ont pas hésité à porter par la violence, contrairement à des groupes plus installés qui se sont conformés aux normes imposées par le club.